La dépendance affective, c’est quoi ?
Qu’est-ce que la dépendance affective ? Est-ce grave ? Comment la reconnaît-on ? Peut-on la soigner ? Pour répondre aux questions de nos lecteurs, nous avons interrogé Hervé Estival.
- Première question, est-ce un vrai problème ou une simple difficulté passagère ?
- N’importe quel thérapeute familial le dira : le pire cas qu’il voit n’est pas celui de patients qui se disputent, mais au contraire de ceux qui ne se disputent jamais. Et c’est justement un des possibles signes visibles de cette maladie qui est très grave.
- En quoi cela consiste ?
- Lorsqu’une personne est spirituellement vide, elle a besoin de se remplir. Où va-t-elle trouver sa nourriture ? Dans la relation avec un semblable. Si elle a vraiment peur de perdre cette relation, parce qu’au fond elle se sait vide, elle sera prête à toutes les concessions pour la garder. C’est ainsi que s’installe cette dépendance, exactement sur le même modèle que la dépendance au tabac industriel ou à l’alcool qui remplissent aussi des vides mais ne résolvent pas leurs causes. La personne dépendante a toujours recours à un objet extérieur, c’est la définition même.
- Alors la vie spirituelle est un remède à cette dépendance ?
- Pas du tout malheureusement. Cela fait des millénaires que d’aucuns rentrent dans les Ordres pour compenser des relations amoureuses, ça ne les rend pas plus épanouis. Au contraire, si on juge que la santé est le baromètre de l’alignement avec les instruction du Créateur, on constate que les moines catholiques et même bouddhistes ont beaucoup plus de cancers que la population générale. A travers l’addiction affective, c’est le désamour de soi qui s’exprime.
- Le chamanisme est-il un bon moyen pour s’en sortir ?
- Assurément, il existe des pratiques chamaniques qui aident, à la condition préalable et nécessaire que le patient ait conscience de son trouble. Certaines psychothérapies sont particulièrement indiquées. Mais c’est une pathologie lourde, une des plus difficiles à traiter, d’autant que certains admirent ces couples qu’ils voient de l’extérieur comme un modèle parce qu’ils ne regardent que les apparences sereines. Dans l’incarnation présente, la maladie prend sa source dans une enfance où les besoins d’être aimés et sécurisés n’ont pas été respectés/satisfaits. Par contre, c’est comme pour toute technique : il y a celui qui va consulter un psychologue pour améliorer un trouble, et celui qui veut devenir psychologue pour le dépasser. Si on devient psychologue ou qu’on s’initie au chamanisme pour se guérir, on ne peut que mettre un couche de plus pour cacher les effets de la problématique, mais on ne guérit rien, au contraire cela continue à s’aggraver plus sournoisement et ça peut même être dangereux pour les patients.
- C’est la fameuse histoire du psychiatre plus fou que ses patients ?
- Et ça arrive ! Celui qui vit bien et veut devenir psy pour améliorer les autres en leur faisant profiter de ses qualités, sera un excellent psy. Celui qui souffre et veut devenir psy ou chaman parce que son égo lui dit qu’il est au-dessus d’un traitement extérieur, n’aidera pas vraiment les autres et il s’enfoncera dans le déni en apprenant tout un éventail de justifications théoriques et de dissimulations compensatrices qui ne feront que l’ancrer. Dans le cas de la dépendance affective, le thérapeute concerné va véhiculer des croyances totalement erronées, il va inciter ses patients à adopter des modes de pensée faussés, il va les amener à valoriser des fausses valeurs, à adopter des réflexes pathogènes, à croire des idées abstruses. Tous les psychologues/psychiatres/guérisseurs/chamans ont déjà vu le cas chez des confrères.
- Comment peut-on reconnaître la problématique chez les autres, voire se reconnaître ?
- C’est une bonne question car les alcoolodépendants disent qu’ils ne boivent pas tant que ça et peuvent arrêter quand ils veulent, et on retrouve le même déni chez le dépendant affectif. Il ne faut pas hésiter à se remettre en question et quitter ses certitudes si on veut apprendre à se connaître. J’ai cité l’évitement du conflit qui résulte de la peur de perdre la relation ; en public les germes des désaccords seront traités par l’humour, jamais directement. Certains signes doivent alerter, notamment le don à l’autre de son pouvoir, ou la terreur ressentie et refoulée à l’idée de la solitude qui fait voir l’autre comme une échappatoire à cette angoisse. L’erreur, qui est fondamentale, vient de ce qu’on croit que l’autre peut combler un vide en nous, alors que c’est impossible.
- Cela se manifeste comment dans les faits ?
- Par exemple, les conjoints ont une seule adresse électronique pour deux, et/ou un seul téléphone mobile. Bien sûr, ils justifient par les économies d’argent, mais ils se privent ainsi du « jardin secret » indispensable à tout individu pour épanouir son individualité (je ne dis pas son individualisme). Il y a aussi la fidélité, qui est alors une résistance : les codépendants travaillent ensemble, ils ont les mêmes activités (syndicales, politiques, artistiques, bienfaisantes ou spirituelles), ils ne s’autorisent aucun écart de conduite en échange de l’auto-censure de l’autre vers la même fermeture. Les actes ne sont pas dictés par le libre-arbitre mais en miroir de l’autre et sous condition de réciprocité : c’est le contraire de la communication vraie et de l’amour authentique dont ils se vantent généralement.
- Comme ces couples sont-ils vus par leur entourage ?
- Généralement on les admire ! Particulièrement ceux qui ont des relations tumultueuses, envient ceux qui ne se disputent pas, qui donnent l’impression qu’ils feraient tout pour l’autre. Ce sont également des couples qui sont volontiers flatteurs vis-à-vis des plus puissants qu’eux, pour s’attirer faveurs et opinions favorables. Il faut vraiment être très observateur et connaître la nature de ces souffrances pour comprendre que leur rapport est entièrement égocentré, basé sur l’immaturité affective, résultant uniquement de leurs peurs.
- On dit que ces couples sont souvent stériles…
- C’est exact. La peur de rompre un équilibre très instable s’oppose à accueillir un enfant, ce peut même devenir une stérilité physiologique. La compensation se fait avec des animaux familiers ou des plantes, ou encore la nourriture (qui sert aussi à remplir symboliquement le vide intérieur). De toute manière, la vacuité fait que les rapports sexuels restent pauvres : manque d’idéation, habitudes, routines, peur des représentations sexuelles, de la sexualité des autres, voire pas de sexualité du tout, surtout si elle pourrait être la cause de différends…
- Y-a-t-il dépendance affective lorsqu’un des conjoints est soumis à l’autre en raison d’une grande différence socio-économique ?
- Non, c’est alors une dépendance économique. Mais elle peut y déboucher si on se ment par rationalisation, c’est à dire que l’on se convainc qu’on tient à l’autre par amour alors que c’est par confort économique, ou par peur de l’échec ou du jugement familial, l’autre pouvant aussi s’illusionner en se croyant attaché par des sentiments alors qu’il nourrit sa soif de pouvoir : il faut un esclave pour être maître et un maître pour être esclave.
- Quel est le niveau de gravité de la dépendance affective ? N’est-ce pas un prix possible à payer si ça permet d’éviter des conflits ?
- Cet amour illusoire se paie par l’oubli de soi, l’étouffement de ses émotions vraies, de ses failles comme de ses désirs profonds ; ces personnes se remplissent de plus en plus de fausses croyances. Les conflits sont absolument nécessaires à l’évolution. Les hommes, comme les animaux, évoluent par la confrontation. La Vie ne sert qu’à l’évolution, alors s’en couper c’est se séparer de la Création. Mais surtout ce serait un prix bien cher à payer. Les couples meurtriers souffrent presque toujours de cette pathologie, et même si ça ne va pas forcément jusque là, ils vivent toujours une vie de refoulements, une mauvaise estime de soi (au fond, car à l’extérieur ils ont l’air très sûrs d’eux), qui causent d’ailleurs des maladies physiques puisqu’elle ne respecte pas les « Instructions Originelles » qui édictent qu’on doit faire de son mieux dans notre nécessaire expérience de la dualité.
- Qu’en pense la psychologie orthodoxe ?
- Pour elle, et c’est parfaitement justifié, la personne en dépendance affective est dans l’incapacité de départager le besoin du désir. Toute insatisfaction, rejet ou refus, renvoie la personne à l’angoisse d’abandon, à la menace d’anéantissement. On parle de « pathologie du lien », car l’autre est uniquement un substitut pour tenter de réparer des blessures et combler des manques. La psychologie moderne distingue 5 phases dans la construction amoureuse. La quatrième est l’amour véritable qu’elle définit consensuellement comme « le bonheur au quotidien dans le fait que la relation permet à chacun d’être libre et de s’exprimer ». La dépendance affective, qui est exactement le contraire, s’assimile aux phases 1 et 2 qui sont des phases « norme-bien » d’attachement mais ne peuvent pas durer plus de six mois, maximum un an, en dehors de cas d’immaturité.
- Il semble que ce soient les deux membres du couple qui sont concernés, se choisissent-ils spontanément parce qu’ils se ressemblent ?
- Oui, la sexualité infantile ne s’adapte qu’à une autre sexualité infantile. On parle d’ailleurs de co-dépendance affective. Parfois, ces sujets n’ont jamais eu d’autre vécus sexuels ou maritaux, ce qui leur enlève des expériences favorables aux prises de conscience. Ils sont tous les deux pointilleux, très fiers de ce qu’ils font et qu’ils estiment indispensable (survalorisation de l’égo compensatrice des peurs de rejet), dans leur intimité ils aiment bien critiquer ceux qu’ils connaissent pour se dire qu’eux valent mieux (jalousie, conflit larvé, projections inconsciences sur les autres). Si un seul est sujet à cette dérive, l’autre ne reste généralement pas longtemps dans cette toile qui l’emprisonne et dont il comprend vite qu’il ne peut pas libérer le partenaire.
- Une citation pour conclure ?
- Disons deux ! Sylvie Tenenbaum, dans Vaincre la Dépendance, décrit les personnes souffrant d’addiction affective comme des « sujets qui ne s’aiment pas et qui cherchent à l’extérieur ce qui ne se trouve pas en eux… Ils recherchent dans l’autre le sentiment d’une valeur personnelle, le sentiment d’exister ». Et l‘allemand Eckart Tolle, qui concentre des enseignement spirituels très variés, auteur du best-seller Le Pouvoir du Moment Présent, me semble avoir mis la plume sur le point central : « Toute dépendance naît d’un refus inconscient à faire face à sa propre souffrance et à la vivre ».
Entrevue exclusive par WWW.CHAMANISME.EU.