Purification, jeûne et détoxe dans la voie chamanique
Les Sagesses Ancestrales sont l’expression d’une spiritualité naturelle et toujours ethnique.
C’est la spiritualité de l’origine.
Naturelle car archaïque et viscérale, cette spiritualité échappe à toute emprise de pouvoir structuré et hiérarchisé. Ce que l’on appelle « le chamanisme » n’est ni une religion, ni un ordre initiatique, ni une secte. Le chaman, quant à lui, n’est donc pas un prêtre, un maître, un gourou, ni un leader d’aucun système. Il est ordinaire, humain parmi les humains, gardien de la mémoire de son clan.
Ethnique car il ne peut y avoir de chamanisme en dehors d’une tradition garante de la solidité de la pratique. Les courants New-Age qui ont leurs vertus empruntent souvent ces méthodes pour s’en réclamer. Certes, la Sagesse est universelle et appartient à qui veut s’en inspirer mais le chamanisme ne demeure crédible que quand il est transmis dans une lignée traditionnelle.
Les dangers d’égarement sont tels qu’il est préférable de retrouver ses racines dans celles d’un vieil arbre déjà bien planté.
Se purifier
Le monde fou et tourmenté nous oblige à nous dégager de notre quotidien pour retrouver notre être supérieur trop souvent étouffé par les contraintes du quotidien.
Le chaman s’éloigne alors du tohu-bohu pour se réfugier dans les profondeurs de la nature.
Retrouver sa nature par la Nature, c’est la nécessité de renouer avec son intégrité.
La quête de vision
Elle nécessite de s’isoler tout en se privant de nourriture voire même pour certain de boisson afin de ne pas échapper à son intériorité.
Les coutumes archaïques Celtes invitent le quêteur à se réfugier hors du monde à l’abri des importuns, dans la forêt, dans une grotte ou dans un tumulus (ou cairn). Ces monticules de terre ou de pierres tels un utérus, possèdent en leur centre un refuge coupé du monde. Cette pièce isolée dans l’obscurité totale oblige l’hermite au silence et à la cécité. Rien ne peut le distraire de son impérieux voyage souterrain.
Aucune nourriture et boisson ne compensera le vide qui, inévitablement, émergera. Le vertige est tel qu’il voudrait, par pulsion, le combler. Grâce à cette privation, plus rien ne peut le distraire de son voyage intérieur.
Pour le chaman, le jeûne est le moyen de se désintoxiquer le corps, le cœur et l’esprit.
Par sa retraite, il extirpe tout ce qui l’empêche d’être lui-même.
Cette épreuve féroce mais salutaire va lui permettre de scruter les secrets inavouables de son humanité blessée.
Dans les Sagesses anciennes, les peurs sont à l’origine de toutes nos maladies alors il faut oser se confronter à elles pour les libérer de l’inconscient, les arracher de ses mémoires secrètes pour éviter de gangréner la force de vie.
La quête de vision accessible à tous
Comme le chaman, chacun d’entre vous peut s’autoriser à s’offrir le luxe de trois jours de jeûne en s’éloignant de l’agitation du monde. Il est préférable que cette épreuve initiatique soit expérimentée dans un cadre protégé, dans une nature non fréquentée et accompagnée par « un gardien de quête », même si l’expérience peut se faire seul, pour ceux ou celles qui en ressentent l’appel.
Cette pratique multimillénaire nous aide à nous nettoyer de nos scories. Pour les anciens Celtes, il était nécessaire de se retirer du monde une fois par an, particulièrement aux fêtes solsticiales ou avant de prendre une décision importante.
Cette cérémonie peut également se pratiquer en clan même si chacun de ses membres prend refuge dans un espace solitaire au cœur de la forêt.
La Quête de vision, nous l’avons vu, est considérée comme un ressourcement, une occasion de renaître débarrassé de certitudes et de fausses croyances.
Dans la mémoire collective Occidentale Celte, on assimile l’Ermite à un Sage retiré du Monde. Il demeure donc bien une vague conscience de cette ancienne vérité. Ces pratiques d’isolement font partie du patrimoine collectif même si, à nos jours, elles ont partiellement disparu de la culture Spirituelle Européenne.
La Quête de vision participe à ces avancées vers « une haute humanité ». Un seul homme inspiré de l’intérieur peut renverser les tigres de papier, les tyrans de fumée. Gandhi, Mandela, Martin Luther King, mais aussi Dupont, Durand… ont changé la face du Monde, alors pourquoi pas vous !
L’objectif premier n’est pas de bouger l’Univers, mais de se transformer soi-même centimètre par centimètre, mètre par mètre, kilomètre par kilomètre. À son rythme mais peut-être en osant se forcer à aller plus vite que sa cadence habituelle car les nouveaux temps l’exigent.
« Vous changez, le monde change… »
LA QUÊTE DE VISION EN FORÊT
La première Quête de vision est une initiation particulièrement importante, elle ne doit pas être trop difficile au risque de décourager l’intéressé et ne peut pas être qu’une formalité.
L’initiation Celtique prend en considération une multitude de paramètres Spirituels, physiques et émotionnels afin que l’apprenti puisse en ressortir vainqueur, plus fort, avec une meilleure image de lui. Cette Cérémonie ne doit pas être une entreprise de démolition, mais au contraire une tentative réussie de rétablissement de la dignité de femmes et d’hommes, à celui qui en a cruellement besoin.
Cet isolement qui est, pour la majorité des candidats, une expérience totalement nouvelle, doit être encadré et protégé à tous les degrés de l’expérience.
Témoignage d’une quête de vision dans la forêt
Il nous fallait en premier lieu construire une hutte de sudation afin de purifier par la vapeur, et cela chaque jour, les futurs quêteurs.
Cette hutte est tenue par un squelette de trente-trois perches divisé en trois niveaux. Elle est recouverte de couvertures de laine qui permettent à l’édifice d’être étanche à la fraîcheur et à la lumière.
Ayant regroupé les pierres, l’eau, le bois et tout le matériel spirituel utile à notre Cérémonie, les aidants, Line et moi aspirions à un légitime repos.
Le groupe de quêteurs était enfin arrivé et nous étions tous en cercle pour célébrer la nuit préparatrice à leur isolement. Line avait cuisiné des décoctions de purification. La Sauge et la feuille de Tabac sont parfaitement adaptées pour cette méditation. Les deux plantes ne sont pas jalouses et cohabitent parfaitement.
Les Tambours résonnaient et les chants inspirés rythmaient la Cérémonie. L’effet des plantes fut rapide. Les participants crachaient ou vomissaient tout ce qui n’était plus nécessaire afin de se dégager et de s’alléger. Ce nettoyage allait les aider à franchir l’épreuve de leur retraite. Les émotions négatives ainsi qu’un mental surchargé auraient rendu l’initiation difficile. Il était donc nécessaire de les purger avec les herbes.
En effet, les principaux rituels de purification sont célébrés avec les plantes, soit par fumigation, soit par décoction, soit par absorption nasale, soit par diète.
Cette hygiène psychique, physique et Spirituelle se pratique dans le Monde entier au sein des cultures authentiques. Il suffit de regarder les animaux qui broutent, quand il est nécessaire, des végétaux afin de se purger pour comprendre que le nettoyage est instinctif. Les plantes vomitives occupent une place particulière dans ces rituels.
Je me souviens avec amusement quand mes Frères Pygmées du Gabon, le premier jour de mon initiation, me gavèrent de plantes vomitives. Les petites boulettes d’herbes vertes m’étaient enfoncées dans la bouche, un peu comme on gave une oie. Mon initiateur me fixait inquiet car rien ne me faisait vomir. J’avais la nausée la plus énorme qui soit, mais je n’arrivais pas à évacuer ce que mon corps demandait. Mon parrain me rechargeait en plantes sans plus de résultat. J’avais l’impression que ma dernière heure était arrivée, j’étais à l’agonie. Mais heureusement, par instinct de survie sans doute, je pus rendre tout ce qui devait l’être. Mon accompagnateur était rayonnant de joie et se précipita pour mettre ses mains sous ma bouche afin de recueillir mon vomi.
À ma grande surprise, j’avais évacué une espèce de mollusque noir de cinq centimètres qui ressemblait à un ver de terre sombre. Le Maître de Cérémonie était radieux et cria sa joie qui fut reprise en cœur par le cercle d’hommes installé à l’extérieur.
Pour nous les Occidentaux, vomir signifie que nous sommes malades et beaucoup d’entre nous ont la phobie de « rendre le trop-plein ». Cette résistance à la purge vient de notre éducation qui nous incite à tout contrôler. Pour les pygmées, vomir est un signe de bonne santé et provoque la joie et la fête car ils connaissent les bienfaits de cette Médecine.
Il me fallut du temps pour intégrer la dimension salutaire de la purge et aujourd’hui, ces rituels de nettoyage m’apportent beaucoup de légèreté et de satisfaction. Je me sens toujours plus joyeux après de telles Cérémonies.
Les feuilles de Tabac pures et la Sauge sont utilisées dans ces circonstances et nous préparent à vivre nos expériences Spirituelles et mystiques. Les plantes – Tabac et Sauge – demeurent l’expérience majeure des pratiques Chamaniques Celtes.
Il n’est pas nécessaire de commenter ces rituels discrets qui n’appartiennent qu’au domaine de l’expérience, devant être réservés aux seuls initiés à qui il est demandé de la persévérance et du courage et qui comportent des contre-indications que le Chaman prendra grand soin à expliciter. En effet, une seule Cérémonie ne suffirait pas à atteindre la satisfaction escomptée. Ces cures exigent dix à douze rituels afin obtenir des résultats significatifs.
« La purification est le préalable à recevoir les bienfaits des Dieux et des Déesses » dit le sage.
La nuit était sombre, la lune noire était propice à l’introspection. La Cérémonie de purification tirait à sa fin et chacun, en retrouvant son calme, put s’en retourner dans son lit afin de déguster la dernière soirée douillette.
Les quêteurs étaient levés de bonne heure, sans doute pressés de débuter leur épreuve. Un jeûne leur avait été conseillé afin d’être le plus léger possible, seuls les fruits leur étaient offerts. C’est donc avec parcimonie qu’ils se rafraichissaient et qu’ils grignotaient quelques grains de raisin et de fines tranches d’orange. Les assistants, quant à eux, étaient déjà installés au camp de base où ils avaient bâti des abris pour veiller pendant ces trois jours. Cet espace est abrité par un chêne énorme de plus de 650 ans et ses branches bienveillantes nous servaient de tonnelle. « L’Arbre-Maître » du lieu impressionnant dessinait par son aura un cercle protecteur autour de nos installations.
Les assistants avaient installé leur campement construit de tentes et de toiles imperméables. Ils allaient pendant ces trois nuits assurer une vigilance permanente. Avec eux, Line et moi allions méditer et fumer de nombreuses Pipes de Sauge et de Tabac afin d’honorer les Esprits et les Ancêtres. Reliés aux quêteurs, nous ressentirions leurs difficultés, leurs peurs, leurs demandes et agirions à distance dans l’instant pour sursoir à leurs terribles épreuves.
Philippe, un des aides, accompagne aussi des Quêtes Amérindiennes Lakota. Parrain d’un aspirant, il mange à sa place s’il a faim, il boit s’il a soif, il pousse des cris si c’est nécessaire. L’accompagnateur est une sorte de jumeau rassurant qui, sans interférer sur l’expérience, apporte le soulagement, la sécurité et la protection et se substitue aux carences du quêteur. Ce qui est vrai pour les Lakotas et aussi juste pour les Celtes.
Nos amis quêteurs ne vont pas manger pendant trois jours, sauf bien sûr contre-indication médicale, et ils sont appelés par le Tambour chaque après-midi à venir, s’ils le désirent, se purifier dans la Hutte de sudation qui leur est offerte.
Cette Hutte de sudation est un sas humide qui peut ne durer qu’une heure ou deux selon la volonté Spirituelle de l’instant. Cette Cérémonie de transpiration est facultative, elle n’est pas toujours utilisée par les participants qui préfèrent être isolés dans les bois durant ces trois nuits. La première Hutte de sudation est toutefois nécessaire car elle permet d’unifier encore un peu plus le Clan afin qu’il en émerge une solidarité sans faille.
Mais au préalable, ils ont construit leur campement pendant de précieuses heures. Ils sont allés tous se perdre au plus profond des bois. Ayant tracé un cercle protecteur autour d’un arbre, ils nettoient l’espace intérieur du cercle afin de le rendre confortable et peuvent enfin vider leur Sac de Pouvoirs et étaler leurs précieuses affaires Chamaniques. Un mandala protecteur est tracé avec leurs outils de Médecine. Adossés à l’arbre, ils élaborent un refuge douillet bâti de duvets et de matelas de mousse. Couverts de vêtements étanches à l’humidité, ils ne souffriront pas du caprice des éléments et pourront ainsi voyager à l’intérieur d’eux en parfait confort. Chaque territoire de quêteur est suffisamment éloigné des autres pour ne pas être perturbé par un voisin trop voyant. La forêt est immense et ils n’auront donc aucune difficulté à s’isoler.
Le vent était un peu frais, mais le soleil réchauffait nos aventuriers.
L’ensemble des candidats, après un nettoyage au Balai et une fumigation à la Sauge et au Tabac, pouvait pénétrer dans la Hutte de sudation.
La Cérémonie fut longue et dura un peu plus d’une heure, dirigée par Line qui avec toute sa douceur de Grand-Mère, en fit une expérience Spirituelle exceptionnelle.
Le soleil allait se coucher et c’est avec empressement que nos amis regagnèrent leur arbre protecteur.
Le lendemain, une autre Hutte de sudation fut proposée et les Tambours des assistants vibrèrent avec l’aide de l’écho, dans toute la forêt, afin de rappeler nos Frères et Sœurs en introspection. Ils étaient tous radieux et profonds à la fois, cette première nuit avait été salutaire. Seuls quatre participants manquèrent à l’appel. J’animais cette Cérémonie de purification avec moult chants, la chaleur était douce et profitable, ils se désaltérèrent et se douchèrent avec délectation, une bouteille d’eau à la main.
Les deuxième et troisième nuits s’égrenèrent avec douceur, les accompagnants et moi-même fumâmes beaucoup de pipes afin de leurs rendre l’épreuve moins difficile.
Le dimanche matin, la trompe vibra et l’écho de la forêt propulsa le son au delà de l’horizon. Nos quêteurs revenaient heureux et fiers d’avoir réussi une telle épreuve qu’ils avaient tous redoutée. Ils se sentaient plus grands et finalement avaient pu juger « …qu’ils avaient imaginé une montagne de ce qui n’était qu’une petite bosse… ».
L’atmosphère était à la joie et tout en remontant leurs affaires, chargés comme des mulets, ils laissaient éclater leur bonheur. Un buffet généreux de fruits et de nourriture vivante les attendait… « C’est Noël ! » me dit l’un d’entre eux. Les quêteurs ne firent qu’une bouchée de ce festin.
Les assistants profitèrent de ces agapes pour démonter leur campement et après avoir honoré les Esprits du lieu ainsi que « l’Arbre-Maître », remontèrent afin de profiter, eux aussi, de l’abondance du petit-déjeuner.
Douchés, rasés, sentant le propre, nous étions en cercle avec nos amis quêteurs afin de partager nos expériences.
Les premiers s’amusaient de leurs peurs anciennes. L’un d’entre eux confia qu’il était terrorisé d’être mis face à un sanglier. Bien sûr, la première nuit, un énorme cochon sauvage vint le voir… Et il n’eut même pas peur, nous confia-t-il. Une autre craignait d’être dérangée par un agriculteur ou un promeneur, évidemment, elle avait trouvé le moyen de s’installer en dehors du parc et un paysan passa la saluer. Il était charmant et elle garde un bon souvenir de cette rencontre et comprit que la peur attire l’évènement. D’autres trouvèrent des réponses à leurs interrogations les plus intimes et les derniers eurent des apparitions de toutes sortes. Tous s’étaient sentis en totale sécurité et remercièrent chaleureusement les Gardiens de la Quête.
L’ambiance était à la fête et nos au revoir furent chaleureux.
Les Quêtes de vision se font également depuis la nuit des temps, dans les grottes au plus profond des roches ou entre Ciel et Terre, à mi-montagne. Ces cavités sont accrochées dans les hautes collines et sont comme des nids d’aigle, favorisant, en contemplant l’horizon, le retour sur soi-même.
On trouve, dans les Quêtes, une multitude de réponses à ses nombreuses interrogations. C’est un luxe de pouvoir s’autoriser un tel espace de calme, protégé des agitations d’un monde en effervescence.
La Quête de vision est salutaire et nécessaire, elle est notre cure de Jouvence. Dans l’ancienne Tradition Celtique, le Chaman qui cessait ses retraites ne pouvait plus pratiquer l’art de la Guérison. La Connaissance sait que seul un être sage peut avoir suffisamment de force pour s’autoriser à se confronter à la maladie et à la dégénérescence de l’âme humaine.
La Quête de vision est la porte qui permet l’accès à la Sagesse.
Elle est accessible à tous ceux qui osent s’en donner les moyens.
Se détoxifier c’est se purifier le corps, le cœur et l’esprit, sans en oublier aucun.
Cette vision holistique de l’humain est l’essence même du chamanisme.
Bonne quête à vous…
Patrick Dacquay
Chef coutumier du Cercle de Sagesse de l’Union des Traditions Ancestrales
Porteur de la lignée Celte de Soof-Ta