L’art De La Divination
La divination par les pierres
Les deux voies.
Un homme se lève, il a un important rendez-vous dans une heure. Il ouvre sa fenêtre et un magnifique papillon vient se poser devant lui. Il se dit que la réunion se passera bien.
Une femme raccroche son téléphone, on vient de lui faire une offre. Elle est mitigée, ses sentiments et ses opinions sont contradictoires. Elle respire et une image traverse son esprit comme un éclair, lui montrant ce qui sera si elle accepte.
Voici donc les deux branches de cet Art, appelées la mantique et la divination, telles même que le Consul et écrivain Cicéron les opposait :
« Il y a deux sortes de divination, l’une relève d’un art qui a ses règles fixes, l’autre ne doit rien qu’à la nature. (…) On ne peut méconnaître en effet l’existence d’une puissance naturelle annonciatrice de l’avenir, que de longues observations soient nécessaires pour comprendre ses avertissements ou qu’elle agisse en animant d’un souffle divin quelque homme doué à cet effet. » (De la Divination, livre I, 6).
Le mot « mantique », du grec μαντικὴ τέχνη, se rapporte à l’art du pronostic tandis que « divination » vient du latin divinare, qui signifie « accomplir des choses divines ».
Les racines.
Les origines de l’une comme de l’autre se perdent dans la nuit des temps. « La divination est la chose du monde la mieux partagée », écrivait Jean-Pierre Vernant, historien et anthropologue, professeur au Collège de France.
D’une part, on sait que chaque groupe clanique avait une organisation par spécialisation, à commencer par les chasseurs, qui comprenait aussi une ou plusieurs personnes chargées de soigner, de ressentir, ou d’invoquer à sa
manière. Ce « chaman » servait par des moyens intuitifs à anticiper les dangers, à indiquer où se trouvait le gibier, à éloigner les risques.
D’autre part la reconnaissance de la contiguïté est un acquis. L’arrivée de telle espèce indique que le gibier habituel aura fui, les éclairs annoncent l’orage, les étoiles le beau temps. Petit à petit, on a appris à identifier de plus en plus de signes. Certains semblent sans rapport avec l’évènement attendu, tel est le langage de la Création, elle indique ce qu’on doit savoir et choisit qui doit le savoir. Et ce langage peut être d’une incroyable complexité comme le montrent les 617 pages de l’ouvrage La Divination Arabe : études religieuses, sociologiques et folkloriques sur le milieu natif de l’Islam de Toufic Fahd édité par Brill Archive (1966) et réédité chez Sindbad (1987).
L’antiquité.
La période gréco-romaine marque une étape évidente dans l’Art de la divination.
En Grèce, le devin est payé par la cité ou par des particuliers, plus pour savoir ce qu’il faut faire pour la réussite d’une entreprise ou d’une bataille que pour prédire l’avenir. Il lit les signes envoyés par les dieux dans les rêves, le vol des oiseaux ou les entrailles sacrificielles.
On construit des sanctuaires oraculaires pour aider à amplifier la parole des dieux par l’intermédiaire d’une prophétesse ou d’un prophète, en général autour d’un élément amplificateur comme une source (Apollon à Didymes et à Claros), un chêne (Zeus à Dodone), une faille aux émanations gazeuses (Apollon à Delphes). Le but y est d’avaliser ou de rejeter les propositions des requérants. La procédure est rapide, au contraire de ce qu’on lit dans les Histoires d’Hérodote qui semblent avoir été plutôt une propagande apollinienne qu’un traité historique.
À Rome, des collèges sont vite formés, utilisant des pratiques typiquement romaines mais aussi des importations des peuples conquis. S’y distinguent les méthodes de divinations privées, innombrables (devins itinérants, prophètes,
magiciens, haruspices, augures, etc.), et celles de la religion publique où seules trois formes de consultation sont reconnues : la divination des augures (ils disent les auspicia, interprétation des signa impetrativa, c’est-à-dire des signes demandés aux dieux pour une cause donnée), la consultation des livres sibyllins par le collège des quindecemviri sacris faciundis (qui se fait à l’apparition des signa oblativa, c’est-à-dire des signes qui se manifestent spontanément ou prodigia), et la consultation des organes intérieurs des victimes sacrificielles ou extispicium (qui sert à vérifier si les dieux sont bien du côté des Romains).
En arrière toute !
Comme le montre Auguste Bouché-Leclercq dans son Histoire de la Divination dans l’Antiquité en 4 volumes (1879-1882), réédité en 2003 par les éditions Jérôme Millon, les pratiques divinatoires sont parfaitement acceptées et utilisées jusqu’à ce que le christianisme entre en compétition avec l’organisation en place, dès qu’il commence à monter en influence, donc vers la fin du deuxième siècle.
Constantin Ier, qui a fait exécuter deux de ses fils et noyer sa femme, réunit le premier Concile oecuménique de Nicée en 325. Il se convertit et adopte, pour les besoins de sa politique, le christianisme comme religion d’État.
Puis Théodose Ier déclara ne plus vouloir régner que sur des chrétiens, il interdit donc le paganisme en 392, en ce compris la divination qui en fait partie (Cod. Theod. XVI, 10-12). Le motif officiel est que l’homme viole les lois naturelles en pratiquant la divination, puisqu’il chercherait à connaître les intentions du Tout-Puissant. On condamne donc bien et surtout la curiosité (« Sileat omnibus perpetuo diuinandi curiositas », que la curiosité de deviner disparaisse pour tous et pour toujours, Codex Theodosianus IX, 16-4). La mort par le glaive est le châtiment prévu – et appliqué – aussi bien pour celui qui officie que pour celui qui sollicite.
Bouché-Leclercq, qui fait toute autorité en la matière, pense toutefois que la divination est le trait par où chrétiens et païens se ressemblent le plus : « La révélation leur paraît en effet ordinaire et indispensable de la sollicitude divine.
Ce qui distingue la divination chrétienne de la divination païenne, c’est qu’elle n’a point et ne veut point avoir de méthode spéciale autre que la prière » (Histoire de la Divination dans l’Antiquité, IV, p. 352).
Interdiction, inquisition, obscurantisme.
« Faber est suae quisque fortunae », chaque homme est l’artisan de sa propre fortune : ainsi parlait le consul Appius Claudius Caecus, premier écrivain latin connu (340-273 av. J.-C.).
Cette responsabilité personnelle disparaît complètement au quatrième siècle par la religion de Rome. L’Homme devient un pêcheur qui subit ce que Dieu veut bien lui imposer. Il est le mouton et Dieu est son berger. L’Homme ne peut pas comprendre les voies du Seigneur, qui sont impénétrables, alors autant qu’il ne les cherche pas. Il lui suffit de prier et d’espérer que ses prières seront entendues.
La civilisation romaine chute en 476 mais le christianisme envahit l’Europe et l’Europe envahit le Monde. Les dynasties se forment, les sociétés se créent. L’Église décide de ce qu’on doit penser et le souverain, choisi par Dieu, de ce qu’on doit faire. Les hommes deviennent des « sujets » qui remettent leur pouvoir entre des mains extérieures. Ils donnent leur travail en échange de la protection du roi ou des suzerains, ils envoient leurs fils se faire tuer à la guerre parce que Dieu l’a ordonné ainsi, ils n’ont pas droit au plaisir parce que cela n’est pas de leur rang. Quant à la divination, elle n’a pas sa place dans la prière attentiste et les prêtres n’y sont pas compétents, elle ne peut en conséquence procéder que d’un « pacte avec les démons » comme avait si bien déclaré Saint Augustin (354-
430) [De la Doctrine Chrétienne, II, chap. 24].
Plus tard, les missionnaires étendront ces règles sur les cinq continents. Ils apporteront leur culture en échange des objets ataviques qui seront revendus, ils répandent involontairement des virus qui détruiront des tribus entières, ils
interdiront les pratiques ancestrales qui fonctionnaient depuis toujours, pour les remplacer par des promesses d’espoir et le confort de remettre toute sa responsabilité à un Dieu omnipotent.
En France, la prohibition édictée par l’article R.34-7 du Code pénal (contravention de 3ème classe) de pratiquer la divination et l’interprétation des songes (donc incidemment la psychanalyse), sera abrogée le 1er mars 1994 par
l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal.
Quelques moyens de divination.
Comme on peut pratiquer la divination avec rien, on peut aussi la faire avec tout, voire n’importe quoi qui servira de support pour reposer l’agitation de l’esprit penseur ou focaliser l’attention de l’esprit visionnaire, de même on peut faire des lectures à partir d’éléments parfaitement inattendus comme les ombres (skiamancie), le nombril (omphalomancie) ou les orages (brontomancie). On constate que chacun utilise surtout ce qu’il a à sa disposition : des peuples du Mali tracent des segments dans le sable, les amérindiens utilisent fréquemment les pierres et les rapaces. Il ne s’agira pas ici d’une liste exhaustive ni d’une étude comparative, juste de quelques exemples illustrant la diversité technique et territoriale.
- Le moyen passé dans le langage courant est la boule de cristal. En perdant le regard, elle laisse « voir » des nuages, des percées lumineuses, parfois des objets.
- La lecture du marc de café et des feuilles de thé est assez populaire. La boisson est bue de la main gauche et la tasse renversée sept secondes sur la soucoupe pour filtrer le liquide. Les images à gauche tendent à indiquer le passé, celles à droite le futur.
- L’astrologie remonte à plus de cinq mille ans, les personnes intéressées pourront utilement consulter le livre de l’historien autrichien Wilhelm Knappich, Histoire de l’Astrologie (2008), publié chez Oxus.
- Le tarot divinatoire date des environs du seizième siècle, il est apprécié pour donner des réponses précises. Là encore le cartes sont tirées de la main gauche, la main du coeur.
- On voit souvent, dans les temples bouddhistes ou les monastères shintoïstes, des femmes agiter des boites de baguettes de bambou raboté, jusqu’à ce que l’une d’elles tombe. Elle va alors ouvrir le tiroir correspondant au numéro pour lire la prédiction. Au Japon on appelle cela Omikuji (御御籤) et en Chine Kau cim, la tradition étant généralement connue sous l’appellation d’ « Oracle de Kuan Yin ».
- Les baguettes saxonnes sont une variante du précédent. Fabriquées à partir d’une tige de bois rond, trois d’entre elles devront mesurer neuf pouces de long ; et les quatre autres, douze pouces, dont l’une devra être décorée d’une façon particulière, il s’agira de la baguette witan. La lecture des baguettes tombées au sol donne une réponse rapide à une question posée – voir Complete Book of Witchcraft (1986), Raymond Buckland, éd. Llewellyn Publications.
- Le livre Gypsy Sorcery and Fortune Telling (1891), écrit par Charles Godfrey Leland, montre un usage divinatoire de l’outil chamanique par excellence, le tambour. En Roumanie, les Tziganes ont recours au cováçanescro buçlo ou
- « tambour-sorcier » pour savoir des guérisons ou des objets volés. Le pratiquant pose neuf à vingt-et-une graines de datura (stramomium) sur un tambourin sur lequel ont été tracées des lignes spécifiques. Lorsqu’il frappe doucement de sa mailloche, les grains se positionnent par rapport aux lignes en permettant leur lecture. On retrouve une pratique similaire chez les Lapons.
- Les runes sont utilisées par les tribus germaniques. La racine indo-européenne du mot « rune », rūn, signifie « mystère ». Les runes les plus anciennes qui nous .sont parvenues seraient datées de l’an 200. Ces runes primitives jusqu’aux environs de l’an 650 semblent toutes utiliser les mêmes vingt-quatre lettres.
- Michael Harner, fondateur du Core Shamanism, propose une lecture des pierres relatée par Arthur Sörensen dans Coeur de Chaman (1996) aux éditions Vivez Soleil : On divise la pierre qu’on a choisie (et qui ne servira qu’une seule fois car après on doit la rapporter à l’endroit où on l’a prise) en quatre côtés, que l’on définit soi-même. On tient la pierre à plat et on la tourne vers soi chaque fois que l’on a fini avec un côté. Un partenaire intervient à ce moment là. En tournant la pierre, on trouve un maximum de quatre éléments ou images de chaque côté. On peut donc trouver seize images en tout. Le chaman doit voir et confirmer ce que voit celui qui pose la question ; pour pouvoir continuer, il faut qu’il visualise ce que dit son partenaire. Avant que celui-ci ne passe au prochain côté, le chaman demande : « Trouves-tu un lien entre ces images et la question que tu as posée ? » Lorsque le partenaire lui répond par l’affirmative, il peut continuer.
Divination celtique.
Le divination celtique utilise aussi des pierres sur lesquelles le chaman aura, ou pas, tracé des signes ou mis des couleurs. Le tirage de neuf pierres se fait de la main gauche et elles sont déposées dans un ordre précis pour former un carré de trois pierres de côté.
La pierre centrale représente le centre de la personne, celle du bas sa base, celle du haut son spirituel. La ligne des trois pierres du milieu est l’horizontalité, la colonne la verticalité. La colonne de gauche est le yin, celle de droite le yang. Les cinq pierres qui forment une croix de saint André sont le corps physique.
Cette première étude permet d’approcher le consultant par un intermédiaire neutre ; le plus grand risque d’erreur de toutes les divinations est en effet de projeter sur l’autre ce qui appartient au devin – c’est une difficulté centrale et souvent mal résolue de toutes les techniques psychologiques (le transfert).
Pour répondre aux questions que se pose la personne venue consulter, le chaman retourne une ou plusieurs pierres, se laissant guider par un ressenti qu’il sent s’imposer à lui. Très souvent, dans un reflet, une inclusion, une fragmentation de la pierre, le chaman va recevoir une information qui va s’avérer cruciale en rapport avec la question posée.
Ainsi la distinction de Cicéron semble bien éloignée de nos préoccupations :
Chaque pierre est choisie parce qu’elle correspond aux attentes du protocole, elle est posée de la manière qui permettra la meilleure interprétation parce qu’elle sait où elle doit être posée, le chaman parlera parce qu’il est connecté à la vibration du Tout dont les fréquences seront transcrites en langage intelligible et utile pour son visiteur. Les pierres sont une aide, un outil facilitateur, une porte placée à un endroit plutôt qu’un autre : Tout est dans tout et nous sommes tous reliés et interdépendants. À l’instar des postes de radio, le chaman, intermédiaire entre les Esprits et l’Humain, reçoit l’onde et la transforme en sons.
Utilité ou futilité ?
Dès lors qu’on constate de manière empirique, et ce fut toujours et partout le cas sinon on l’aurait abandonnée au cours des ages – aidés en cela par les persécutions religieuses et politiques – que la divination donne des résultats
probants parfois même d’une précision incroyable, doit-on l’utiliser ?
La réponse est bien évidemment affirmative. Qu’un humain puisse avoir des facilités pour voyager dans le temps, et ce serait insulter le « Créateur » que de refuser d’utiliser ces facultés qu’il lui a données ; nous avons même le devoir de faire de notre mieux… Et si les signes que nous lisons sont orientés, ils ne peuvent l’être que par une Conscience supérieure. Si elle envoie ces messages, ils nous sont destinés et là aussi nous devons faire de notre mieux pour la
comprendre et donc les comprendre.
En toute chose l’excès nuit, cependant. Consulter pour affiner une décision relative à un déménagement ou au traitement d’une affaire en cours est assurément une bonne idée, et ceux qui le font ont plus de réussite que les
autres (trois des cinq premiers présidents de la Cinquième République, ceux qui ont été réélus, y avaient habituellement recours). Le besoin systématique pour des questions secondaires peut cependant devenir une délégation de son pouvoir – donc son abandon – ou même une dépendance, ce qui serait exactement contraire aux visées de cet Art qui prône la liberté et l’élévation de conscience.
Et bien entendu l’échange égalitaire doit encadrer la consultation puisque si celui qui travaille peut prétendre à une légitime rémunération, elle ne doit pas excéder une valeur équitable pour la durée de son travail et son efficacité réelles.
Publié avec l’aimable autorisation de Hervé Estival.