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VOYAGE CHEZ LES INDIENS ARHUACOS

 

 

Valledupar, chef lieu du département du Cesar, au nord de la Colombie. Rien à voir avec Jules César…Les 4×4 pour Pueblobello partent de derrière la « Galería Popular », sorte de marché couvert, vers 6h du matin. Il fait jour depuis longtemps, et les horaires de départ très approximatifs nous permettent de siroter un « tinto », le café colombien en vente partout ; au coin de la rue en face, un marchand est assis à côté de son petit étal : une planche posée sur deux tabourets, des verres en plastique, et des thermos de café…

Enfin, au bout d’une heure et de quelques « tintos », un 4×4 apparaît, nous embarque, et deux heures après nous voici à Pueblobello, bourgade sans grand charme malgré son nom (« Beauvillage »), où il nous faut encore attendre un autre 4×4 qui nous amènera à Nabusimake, la centre de la communauté des indiens Arhuacos, au bout de 22km de la piste la plus insensée que j’ai jamais vue.

Nous ? Trois voyageurs (un canadien, un américain et une jeune colombienne) et moi-même.

Comment me suis-je retrouvé là ?

Deux mois plus tôt, j’avais fait la connaissance d’une chamane Colombienne, issue de l’ethnie Emberá. Devisant de choses et d’autres, je lui fis part un jour de mon projet de visiter la Colombie, pays qui m’attirait depuis longtemps. C’est alors qu’elle eut cette phrase étonnante : « D’habitude je ne le fais pour personne, mais tu m’as paru plutôt sympathique. Aussi je vais essayer d’entrer en contact avec le chef actuel de la communauté Arhuaco, ou avec son épouse, que je fréquente depuis 25 ans (et le chef, et sa femme, et la communauté), pour le prévenir de ta venue. » Ce qu’elle fit, (ce fut tout de même laborieux), à ma grande surprise et grande joie. Aussi ne débarquais-je pas là en simple touriste…

LE CADRE

 La Sierra Nevada

La Sierra Nevada. Avec un peu d’imagination, on pourrait presque y voir la forme d’un cœur, non ?

Les montagnes à droite de l’image sont la Sierra de Perija, qui marque la frontière avec le Venezuela.

A l’extrémité Nord de la Colombie se dresse, impériale, la Sierra Nevada de Santa Marta, surgeon extrême des Andes, et encore on dit que ces montagnes seraient bien plus anciennes que les Andes et n’auraient donc rien à voir avec elles. Sorte de massif triangulaire culminant par deux pics jumeaux ayant une différence d’altitude de 2 mètres : 5775 m au Pico Cristobal Colón, et 5773 au Pico Simón Bolívar, c’est la plus haute chaîne côtière du monde, puisque ce double sommet est à moins de 50 km de l’océan à vol d’oiseau… Sur ses pentes vivent quatre peuples, dont le plus connu est celui des Koguis, que le français Eric Julien a rendus célèbres. Les autres sont les Wiwas, les Kankuamos et les Arhuacos (qui se nomment eux-mêmes Ika).

Ils sont tous descendants du peuple Tayrona, qui peuplait toute la zone au moment où les espagnols, avec la délicatesse qui les caractérisait, sont arrivés, et leurs langues sont proches cousines du Chibcha, la principale langue de la Colombie ancienne. C’est sur la partie Nord Ouest de ce triangle invraisemblable, chez les Koguis, qui subsiste la fameuse Ciudad Perdida, (Ville Perdue) : réseau dense et inattendu de chemins empierrés, de terrasses sur les pentes abruptes, « à l’ardéchoise », de pans de mur qui témoignent d’une organisation complexe et fort intelligemment faite. Cette partie là appartient au Parc National Tayrona, on peut donc y accéder sans problème, autre que logistique : c’est une randonnée de 4 ou 5 jours à pieds !

La pression due aux espagnols, puis plus tard à la mise en valeur des basses terres fertiles a repoussé ces peuples sur les pentes plus hautes, moins accessibles, où ils vivent aujourd’hui.

Cité Perdue des Tayronas

Un des escaliers desservant les terrasses de la Cité Perdue des Tayronas ; comme des échamps ardéchois dans la forêt tropicale !

ARRIVÉE

Le 4×4 nous laisse, après plus de 2h sur les 22km de pistes impossibles, sur la « grand’place ». Ah bon ? Grand’place ? Une sorte de terrain immense, avec quelques maisons éparses. Le site est merveilleux, fond plat de vallée dans un écrin de montagnes. Une vraie carte postale. L’endroit n’est pas ouvert au tourisme de masse, loin de là, et fort heureusement. Nous sommes à 1800 mètres d’altitude et il est midi…

La maison, très modeste, du « cabildo » (municipalité), qui par chance se trouve être à côté de l’endroit où nous a déposés le 4×4, a tous ses volets fermés : le chef de la communauté, qui est censé être au courant de ma venue, n’est pas là, et son épouse non plus… La jeune colombienne, Alejandra, a heureusement l’adresse d’une sorte de « gîte rural  ». Allons y donc ! Mais la femme qui le tient, institutrice à l’école, est encore en cours ; nous l’attendons donc pendant deux heures. La voilà : elle se prénomme Yvette, mais retranscrit « bibliquement » pour que ça ressemble à Elizabeth, ça devient Ibeth, prénom rencontré parfois en Amérique du Sud. Tonique et bien en chair, elle régente tout son petit monde… Elle sera très étonnée quand je lui dirai que son prénom n’a rien de biblique, mais vient d’un saint breton. Brequoi ? Les bretons sont aussi inconnus là-bas que les arhuacos le sont ici…

J’apprendrai d’elle, en échange, que tous les Arhuacos ont deux noms : un dans leur langue, et un autre, « catholique », réservé aux étrangers et à l’usage officiel. Ibeth nous loge alors dans son « gîte », en bord de rivière. Petites maisons toutes simples, les volets tiennent lieu de fenêtres. Et pour se laver ? Soit à la rivière, fraîche comme une rivière de nos Alpes même en été, soit à la douche, quand ça veut bien, et où c’est la même eau. De l’eau chaude ? Faut pas rêver, mon ami. Tiède ? Non plus.

Par Ibeth j’essaie alors de contacter le chef du village ou son épouse. Le téléphone portable est décidément une belle invention dans ces cas là… J’ai son épouse au bout du fil. En effet, ils savent bien que je suis là, mais ils sont retenus « en ville ». Elle est désolée de n’avoir pas pu me rencontrer à Valledupar… Elle me donne les coordonnées d’un des chamanes de la communauté, me disant d’aller le voir de la part de son mari…

NABUSÍMAKE

En attendant de pouvoir rencontrer le chaman, je me retrouve avec le canadien, l’américain et la jeune colombienne à « engager » deux enfants pour qu’ils nous conduisent à différents endroits remarquables des environs. La nature est très belle, et je sens une qualité d’air très particulière. Sur le chemin de retour, nous longeons le « village » propre de Nabusimake. Une enceinte de pierres, d’un peu plus d’un mètre de haut, percée de deux portes, l’une côté amont de la rivière, l’autre côté aval. Les portes elles mêmes sont la plupart du temps fermées. Les piétons passent par une sorte d’échelle faite d’un tronc où des encoches ont été faites, et qui demande le pied montagnard ! Deux Arhuacos sont là, qui veillent à ce qu’aucun étranger ne rentre librement. Mais on peut rentrer, moyennant un « ticket » de 10000 pesos (=4 euros), et l’enregistrement auprès des autorités du village. Consigne : toute photo est interdite. Bien. Nous entrons donc. Le village est presque vide : de fait, c’est le centre cérémoniel. C’est là que se trouve la seule épicerie de la vallée. Et quand je dis épicerie, c’est déjà grandiose.

Dans la grande rue, un petit clocher. L’église ? Oui. En état de marche ? Non.

église de Nabusimake

Le clocher de l’église de Nabusimake, désaffectée depuis 1983.

On nous raconte alors l’histoire.

En 1916, les représentants Arhuacos avaient fait le chemin à pieds jusqu’à Bogota, capitale de la Colombie, pour demander un peu d’aide au gouvernement, notamment des maîtres d’école, pour enseigner à lire, écrire et compter…

Lequel gouvernement n’avait rien trouvé de mieux que de demander à l’Eglise d’envoyer des missionnaires capucins : « Ce dont ces indiens ont besoin, ce ne sont pas des routes ou des écoles, mais de la Parole du Seigneur ! » Ainsi en avaient-ils décidé. Les Capucins, avec une tendresse toute christique, n’ont pas tardé à vouloir détruire par la force les croyances indigènes, en « instruisant » d’office tous les enfants dans une institution appelée « orphelinat », même si ces enfants n’étaient pas orphelins du tout ! Cela tenait plus de la maison de redressement, où la pédagogie consistait à éradiquer les croyances anciennes par un régime de terreur, et l’imposition d’un nouveau nom « chrétien » par baptême obligatoire. Par ailleurs, pour les adultes, un régime de travaux forcés fut établi, au nom de Dieu bien sûr. On se serait cru revenu aux premiers temps de la Colonie, au XVIe siècle !

En 1982, les Arhuacos en ont eu assez, et occupèrent pacifiquement la « mission » ; au bout d’un an, ils réussirent à mettre les capucins dehors.

Depuis, l’église est là, vide, désaffectée, et la cloche du clocher sert juste à convoquer les gens en cas de réunion…

Nabusimake se prononce « Naboussîîîmaké », avec l’accent tonique sur le i, et bien sûr pas « Nabüzimâque » à la française… Ce nom veut dire « le lieu où le soleil se lève » ; c’est la « capitale spirituelle » des Arhuacos, leur cité sacrée. Ils se définissent plus particulièrement comme les gardiens de l’Est, de l’Orient.